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Par sorges le 16 Décembre 2014 à 11:18
Tableau de Le Nain, intérieur rustique d'une famille de paysans
"Chaque jour de sa vie, qui la santé, l'aisance ou la chance aidant peut atteindre une soixantaine d'années, le paysan du Maine observe le ciel car les difficultés agricoles sont filles de l'adversité..." (1)
Faut-il rappeler que la population filléenne était constituée essentiellement de laboureurs ou métayers comme dans toutes les campagnes.
"Le paysan redoute bien sûr les grandes sécheresses comme celle de 1615... de la Toussaint 1614 au 8 septembre 1615 la sécheresse fut extrême, les bestiaux mouraient de faim et de soif ou celle de 1723 qui a été la plus sèche qu'un homme ait jamais connu puisqu'il n'a pas plu durant six mois"
"Mais ce que le paysan du Maine craint le plus, c'est le dérèglement des saisons, l'hiver trop humide et trop doux, l'été pourri, froid et pluvieux. ..."
"Faut-il ajouter que la tyrannie des saisons joue un rôle dans l'apparition des maladies ? Morbidité, famine ou disette conjuguent alors leurs effets pour déclencher de véritables catastrophes démographiques... le nombre de décès double, triple ou quadruple parfois. Le manque de nourriture et l'ingestion de denrées abjectes en sont la cause". (2)
Rappelons qu'à notre époque, en dépit du progrès médical et des moyens modernes de communication (téléphone, etc), l'impact caniculaire de la sécheresse de 2003 pourtant étalée sur une durée très courte a provoqué sur l'ensemble du territoire français un excédent de 15 000 morts) il n'y eût toutefois et heureusement pas de mortalité à déplorer parmi les enfants en bas âge mais celle-ci a été conséquente parmi la population la plus fragile (personnes âgées de plus de 75 ans).
"Ainsi la mortalité (pour reprendre un terme plus contemporain que morbidité) de 1661-1662 est-elle le fait d'une crise de subsistance, due à la crise frumentaire consécutive à l'été pourri de 1661, et d'une morbidité épidémique liée à l'état maladif des populations. Les chiffres montrent l'ampleur de la crise." (3)
A Fillé, nous n'avons pas d'après les archives départementales de registres paroissiaux avant 1667.
"La disette de 1661 et 1662 a été si grande dans tout le pays que le peuple a été accablé et réduit à la mendicité..." Dans un billet non daté à son frère, ministre, Charles Colbert rend compte des mesures de relance (imposition au niveau de la taille) :
"Vous voirez par ce mémoire que je n'ai pas accordé grandes diminutions aux paroissiens qui vous appartiennent dans l'élection du Mans ayant tout donné à celles qui sont les plus accablées et qui ne se peuvent relever sans un grand soulagement..." (4)
Cette grande catastrophe démographique est décrite également dans un ouvrage de Jean Delumeau "Démographies et Mentalités" en Anjou qui constate qu'au XVII° siècle, après la peste bubonique et la dysenterie enrayées
"ces absences ne signifient pas l'allégresse pour l'Anjou qui connaît de 1648 à 1652 les troubles de la Fronde et le passage des gens de guerre et surtout en 1661-1662, une grande mortalité, crise à la fois de subsistance et de morbidité :
la plus redoutable catastrophe démographique qu'ait connue l'Anjou au XVII° et XVIII° siècle. L'été pourri de 1661 et la disette qui s'ensuit avec quadruplement du prix des grains affectent une province déjà minée par une série de maladies qui sévissaient à l'état endémique (rougeole, scarlatine, variole, dysenterie). Tout l'Anjou est atteint.. " (6)
On peut penser que la province voisine du Maine subissait le même sort...
Dans certaines paroisses, à la fin de 1661 et au début de 1662, les chiffres de décès se trouvent multipliés par trois, voire par quatre, cinq ou six, tandis que les conceptions s'effondrent". (7)
1693-1694 : DE NOUVELLES CALAMITÉS :
"Trente ans plus tard, maladies et disettes cumulent une nouvelle fois leurs effets, que nos témoins, ces curés qui consignent dans leurs régistres paroissiaux les évènements extraordinaires, ne manquent pas de relever..."
On nous fait remarquer que dans certaines paroisses du nord Sarthe, le dernier trimestre 1691 est marqué par une progression de la mortalité qui se poursuit durant le premier semestre 1692 (65 sépultures contre 37 en moyenne à Mamers). Puis du second trimestre à la fin du premier trimestre 1693, c'est un doublement des décès. Après une légère décrue d'Avril à juin, la mort reprend son œuvre tragique et le prêtres de N.D. célèbrent jusqu'à la fin de 1694, deux fois plus de sépultures qu'en temps normal.... L'analyse de la répartition par âge des décès montre que disette et maladies touchent pratiquement de manière égale tous les groupes d'âges.
Dans l'élection du Mans, les paroisses qui d'habitude assurent le moins bien leur subsistance, sont victimes de la crise mais souffrent moins que celles qui se suffisent. (Le Mans qui comptait 3.552 feux en 1688 tombe à 2.961 feux en 1695 soit une chute tragique de 16,3 %. (5)
Examinons sur Fillé, l'impact de ces calamités sur la mortalité entre 1688 et 1695 d'après les registres paroissiaux tenus par Monsieur le Curé de la paroisse, le prêtre vicaire René Chevallier, renseignements recueillis auprès des archives départementales ; et ceci, tant que faire se peut car il y a un nombre incalculable de pages blanches ou de pages tâchées :
- année 1688
On a relevé 13 décès dont 2 jeunes de 16 et 17 ans (ce chiffre semble se situer dans une "moyenne normale") ;
- année 1689
On a relevé 10 décès ;
- année 1690
9 décès ont été consignés sur les registres paroissiaux ;
- année 1691
16 décès ont été relevés ce qui ressemble également à une légère progression ;
- année 1692
12 décès : on retombe dans la moyenne ;
- année 1693
17 décès
- année 1694
31 décès ont été consignés sur les registres dont 9 au 1er trimestre, 9 au second, 8 au 3ème trimestre et 5 au dernier ce qui correspond à un coefficient de presque 2 fois et demi le nombre de décès survenus en 1688.
- année 1695
7 décès seulement : la rémission intervient- elle véritablement ?
On peut donc logiquement considérer que les phénomènes observés à Mamers et au Mans se sont produit dans une proportion semblable à Fillé.
(1), (2), (3) et (5)
Sources : Disette dans le Maine sous les derniers rois page 14 - revue sarthoise n°9 "Cénomane"
(4) Sources : Bibl. Nationale, Mrs Mélanges Colbert 124 f°33 et f° 555.
(6) et (7) Sources : Démographies et mentalités : la mort en Anjou (XVII° et XVIII° siècle).Jean Delumeau.
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